JDD – Interview Guillaume Lacroix : « Jordan Bardella promet un village gaulois sans potion magique »

Pour la première fois depuis trente ans, le Parti radical de gauche (PRG) présente une liste aux élections européennes. Son président, Guillaume Lacroix, veut croire à un espace entre « la gauche germanopratine » de Raphaël Glucksmann et l’extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon.

26 avr. 2024

"Moi, c’est la France qui doute et avec qui je vis, qui est mon seul moteur et mon inquiétude. Ces Français à qui on ne le fera plus. Ces Français qu’on ne regagnera pas avec des leçons de morale et des grands mots, devenus vides de réalité.

Le JDD. Vous venez de présenter votre liste aux européennes. Ne craignez-vous pas qu’on vous accuse d’ajouter à la division de la gauche ?

La gauche qui se divise, c’est celle de la Nupes. Une division façon puzzle. Nous faisons le contraire en rassemblant sept formations politiques. Le PRG et RPS sont les seules formations de gauche représentées au Parlement qui n’étaient pas dans la Nupes. C’est donc très cohérent. Notre liste rassemble aussi des personnes de la société civile venues de traditions politiques très différentes, mais toutes humanistes et toutes proeuropéennes. La cohérence est le seul moyen d’être crédible.

Votre proposition de liste commune aux européennes avec la tête de liste PS-Place publique Raphaël Glucksmann a fait long feu. Pourquoi ?

J’ai effectivement cherché un rassemblement large de la gauche de gouvernement au regard de la situation du pays. Olivier Faure m’a indiqué qu’il ne souhaitait pas rompre définitivement avec LFI car les positions politiques du PRG seraient un obstacle dans la poursuite de cet objectif. Raphaël Glucksmann l’a suivi. Dont acte. Chacun sa cohérence. Je suis fier de la nôtre. Une gauche claire sur les valeurs.

Vous avez coutume de dire que votre candidature répond à un besoin. Pour le moment, toutefois, elle ne franchit pas le mur du son…

Elle ne franchit pas le mur du son des médias parisiens effectivement. Il faut dire qu’avec la composition très régionale de notre liste, nous sommes peu de Saint-Germain et plus des prés. Sur le terrain, c'est différent. Et puis la presse régionale, elle, fait son travail d’information honnêtement et je l’en remercie. Ce que j’entends sur le terrain avec notre positionnement de centre gauche clair, ni NUPES, ni Macron, c’est que nous répondons à une attente.

On fait régulièrement le procès à la gauche de s’être coupé du peuple ; vous pensez être en mesure de renouer avec lui. Comment ?

En faisant une liste qui ressemble au pays. Lydie Massard, députée européenne bretonne en deuxième position sur la liste, était encore cuisinière de lycée il y a un an. Suivent sur la liste un maire rural, Patrick Molinoz, une ancienne ministre de François Hollande, Juliette Méadel, un agriculteur, Philippe Meynier… Le reste de la liste et le projet sont à l’avenant : les pieds dans le réel et le concret. Il n’est pas d’amour sans preuves d’amour.

Vous souhaitez, dites-vous, faire entendre « une voix radicale ». Qu’est-ce à dire ?

C’est-à-dire que je lutte durement contre tous les extrémismes comme contre tous les fondamentalismes. Que je dis les choses franchement. Par exemple, sur l’immigration, je suis convaincu qu’elle est naturelle et par ailleurs que nous en avons besoin pour nos entreprises comme pour notre démographie. Homme de gauche, j’assume aussi qu’aujourd’hui, nous sommes défaillants sur l’intégration. Je suis aussi convaincu que l’asile est notre honneur fraternel. Il faut renforcer l’asile et le rendre digne. Mais je suis aussi convaincu que la moindre des choses que nous devons aux réfugiés afghans, comme à nos enfants, c’est de ne pas croiser dans nos rues un taliban.

Vous n’êtes pas tendre avec Raphaël Glucksmann que vous décrivez comme le représentant d’une élite parisienne déconnectée. Comment expliquez-vous sa dynamique ? La doit-il simplement à la surface médiatique dont il jouit ?

J’observe ce qui se passe avec tristesse. Le PS installe comme seule obsession un derby de la France qui va bien entre la rive gauche de Raphaël Glucksmann et la rive droite d’Emmanuel Macron. Au cumulé les deux représentent 30 % d’intentions de vote.

Moi, c’est la France qui doute et avec qui je vis, qui est mon seul moteur et mon inquiétude. Ces Français à qui on ne le fera plus. Ces Français qu’on ne regagnera pas avec des leçons de morale et des grands mots, devenus vides de réalité.

Je n’ai qu’un adversaire, c’est l’extrême droite indigne autant que nulle. Jordan Bardella, qui promet un village gaulois sans potion magique, pense avec les pieds, c'est une évidence. Ses potentiels électeurs, non. Et ils méritent mieux qu’un représentant qui les manipule. Pour preuve Jordan Bardella ne veut plus sortir de l’Europe depuis qu’il ne voit que du confort à siéger à Bruxelles sans travailler. Jordan Bardella c’est un peu Brice de Nice. Il surfe, il sourit, il casse, mais à la fin, c'est la glande et la lose.

Vous aviez d’emblée refusé de participer à la constitution de la Nupes après la présidentielle 2022. Pourquoi ?

Nous sommes partis seuls aux législatives quand les électeurs d’Anne Hidalgo et ceux de Yannick Jadot ont été invités à « élire » Jean-Luc Mélenchon Premier ministre sans autre garantie morale que quelques circonscriptions accordées aux PS et aux Verts. C’était une combine électorale intenable, pas une union de la gauche, suivie d’un simulacre d’union durable d’appareils. Un reniement pour toute la gauche de gouvernement. Je ne l’ai pas accepté.

Seriez-vous prêt à rejoindre une alliance de gauche sans LFI à l’avenir ?

L’union de la gauche est un vieux combat du PRG. On l’a si souvent faite que nous nous sommes trop souvent effacés au point de nous faire oublier. Pourtant, quand nous parlions laïcité, nous avions raison. Quand nous parlions renforcement des territoires, nous avions raison. Demain, l’union de la gauche ne sera possible que si elle est cohérente, crédible et forte, porteuse d’une ligne républicaine, clairement décentralisatrice et européenne. Sans cela, elle sera inutile et si elle continue de donner un spectacle navrant, alors elle sera dangereuse tant elle aboutit à crédibiliser les mensonges et les outrances du RN.

Parmi vos propositions phares, figure la mise en place d’un « Airbus du médicament ». À l’heure où le laboratoire Biogaran pourrait être cédé à des capitaux étrangers, cette proposition est-elle réaliste ?

Elle est réaliste et impérative au regard de l’actualité de Biogaran, mais aussi des pénuries à répétition dans nos pharmacies. On sait faire des avions, on doit pouvoir faire du paracétamol ! C’est tellement évident que tout le monde, de Macron à EELV, se l’approprie désormais. Tant mieux. Une preuve de plus que notre liste a un projet utile… et que oui, elle répond à un besoin. Ne reste plus qu’à ce qu’on nous laisse l’exprimer largement !